L’effort concerté d’intégration en Afrique Centrale puise ses racines d’une part, dans la Charte de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) de 1963, dans l’Acte final de la Déclaration de Lagos ainsi que dans le Traité d’Abuja instituant la Communauté Économique Africaine (CEA) adopté en 1991 et, d’autre part, dans le Traité signé le 08 décembre 1964 instituant l’Union Douanière et Économique de l’Afrique Centrale (UDEAC) et Celui instituant la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CÉMAC) du 16 Mars 1994.

Historiquement, la Cémac est l’un des regroupements sous-régionaux les plus anciens en Afrique, car, même si sa première forme institutionnelle la plus achevée apparaît seulement en 1964, avec la création de l’UDEAC, la première initiative d’intégration date de 1959 avec l’Union Douanière Équatoriale (UDE) regroupant le Congo, le Gabon, la Centrafrique et le Tchad.

Toutefois, malgré cette antériorité, l’intégration régionale en Afrique Centrale est moins avancée par rapport à d’autres sous-régions africains et ce malgré les effets attendus de l’intégration.

En effet, la théorie libérale attribue à l’intégration régionale des avantages importants en termes d’économies d’échelle, d’accroissement des échanges au sein d’un marché plus vaste, d’attrait des capitaux étrangers, de gain de bien-être et de réduction du chômage et de pauvreté.

Plus récemment, une étude portant sur « L’évaluation des gains attendus de l’intégration économique régionale dans le pays africains de la zone franc », réalisée par la fondation pour les Études et Recherches sur le Développement Internationale (FERDI), indique qu’une intégration économique réussie se caractérisait par les gains importants en termes de:

création de commerce par la diversification des partenaires et des produits ;

croissance économique (en moyenne 3 points de croissance) ;

amélioration des infrastructures de transport ;

accroissement de la compétitivité des économies ;

renforcement de la complémentarité des économies concernées.

L’intégration économique sous-régionale, puis régionale (à l’échelle africaine) est désormais unanimement reconnue comme un volet incontournable de l’émergence du continent.

D’après une étude récente discutée à la réunion des ministres de la Zone Franc, une intégration réussie génère près de 3% de croissance en plus. Elle renforce la solidarité et réduit la vulnérabilité des économies de petite dimension comme celle des pays de la Cémac.

Au regard de l’étroitesse des marchés des pays de l’Afrique Centrale, l’intégration régionale au sein de la zone Cémac apparaît comme la solution idoine pour promouvoir la croissance et le développement.

L’Union Africaine (U.A) vient de célébrer avec solennité le 50ème anniversaire de la création de l’OUA. A cette occasion un hommage vibrant a été rendu aux pères fondateurs, initiateurs de ce projet visionnaire.

La décolonisation et les indépendances des pays africains, étant désormais des acquis, l’U.A a décidé d’accélérer, au cours des prochaines décennies, l’intégration et le développement du continent, afin d’accéder rapidement à l’émergence de l’Afrique.

Au cours de ces assises, les faiblesses de la Cémac, comparées à l’UEMOA ont été établies, deux États ont même été pointés du doigt. La nécessité de renforcer le mouvement d’intégration de la sous-région, déjà vieux de près d’un demi-siècle est donc une évidence.

 

Situation actuelle de la libre circulation des personnes en zone cémac 

 

Les acquis de l’intégration régionale en zone Cémac

Depuis sa mise en place formelle en 1964, le processus d’intégration en zone Cémac est passé de la zone de libre échange caractérisée par la libre circulation des biens, à l’union douanière avec l’adoption d’un tarif extérieur commun (TEC).

L’un des objectifs majeurs fixé par l’union Économique à l’occasion du sommet de Malabo en juillet 1996 était la création d’un marché commun fondé sur la libre circulation.

Ainsi, dans son processus d’intégration, la Cémac est en pleine construction de son marché commun dont les piliers sont :

L’Union Douanière, caractérisée par la libre circulation des biens, assortie d’un tarif extérieure commun ;

La libre circulation des personnes

Il est à observer que les politiques économiques et sectorielles communes doivent assurer l’évolution vers l’Union Économique.

Sur ce point et au regard du chronogramme fixé, l’on peut affirmer qu’au plan purement textuel, la Cémac a dépassé le stade du marché commun caractérisé par la libre circulation des personnes et se trouve fortement engagée vers le stade de l’union Économique de l’Afrique Centrale qui implique une harmonisation des politiques sectorielles nationales.

Appréhendant l’importance des externalités positives susceptibles de résulter de la libre circulation des peuples de la Cémac, placés au cœur de la problématique de l’intégration, les chefs d’État ont exprimé leur forte volonté politique par l’adoption d’une série de dispositifs institutionnels et de mécanismes juridiques garantissant l’harmonisation des politiques nationales et l’élaboration des stratégies de développement des communes .

Toutefois, le pilier relatif à la libre circulation des personnes est le plus en retard et a d’ailleurs fait l’objet de critiques acerbes de la part de l’U.A.

Portée des instruments juridiques au service de la libre circulation des personnes

La libre circulation en zone Cémac s’entend comme la faculté qu’ont les citoyens des États de la Cémac à aller et venir au sein de la zone, sans contraintes ni restrictions particulières.

Elle ne saurait être ni assimilée au droit d’établissement, ni confondue à un séjour prolongé dans un État à des fins socio-économiques.

Elle désigne en revanche la faculté reconnue par les textes d’entrer sans visa dans un autre pays, pour une durée limitée (3 mois au maximum) avec pour seul document un livret d'identité national ou un passeport national en cours de validité.

En cette matière, plusieurs textes ont été adoptés par les instances de la communauté pour consacrer ou favoriser la libre circulation des personnes en zone Cémac. Il s’agit de:

L’acte N°1/72-UDEAC-70-A du 22 décembre 1972, relatif à la convention commune sur la libre circulation des personnes et le droit d’établissement dans l’UDEAC ;

Le règlement n°1/00-CÉMAC-042-CM-04 du 21 juillet 2000 portant institution et conditions d’attribution du passeport Cémac.

L’acte additionnel N°08/CÉMAC-CEE-SE du 29 juin 2005, relatif à la libre circulation des personnes en zone Cémac;

La décision N°02/08-UEAC-CM-17 du 20 juin 20085, portant liste des personnes admises à titre transitoire à circuler sans visa en zone Cémac;

Le règlement N°01/08-UEAC-042-CM-17 du 16 mars 2010 portant institution et conditions de gestion et de délivrance du passeport Cémac;

La décision N°2/11-UEAC-070-U-CM-22 du 19 décembre 2011, portant extension de l’accès aux services d’Interpol I-24/7 ;

L’accord d’extradition entre les États membres de la Cémac du 28 janvier 2004 ;

L’accord de coopération judiciaire entre les États membres de la Cémac du 28 janvier 2004.

Certains de ces textes consacrent l’effectivité de la libre circulation, tandis que d’autres mettent l’accent sur la coopération avec les partenaires extérieurs, d’une part, et entre les États membres de la Communauté, d’autre part, afin de sécuriser l’espace communautaire et contrôler les flux migratoires.

Le dispositif normatif relatif à la circulation des personnes de la libre circulation en zone Cémac est construit autour de trois textes fondamentaux :

L’acte additionnel n°08/CÉMAC-CEE-SE du 29 juin 2005 relatif à la libre circulation des personnes en zone Cémac

L’acte additionnel n°08/CÉMAC-CEE-SE du 29 juin 2005 se présente comme l’acte fondateur de la libre circulation des personnes dans la Cémac, les instruments juridiques précédemment adoptés se situant dans le cadre de l’UDEAC. Signé par le président OBIANG NGUEMA MBASOGO, il réactualise et se situe dans le prolongement de la convention sur la libre circulation des personnes et le droit d’établissement en zone UDEAC.

Dans sa substance, cet acte additionnel établit clairement la liberté de circulation dans l’espace Cémac, sous réserve de la présentation soit d’une carte nationale d’identité d’un État membre, soit d’un passeport en cours de validité.

La carte nationale d’identité et le passeport -quelle que soit sa nature- sont ainsi érigés en seuls documents alternatifs dont la présentation est exigée pour le déplacement d’un État à un autre de la Cémac.

Toutefois, les plus hautes autorités de la Cémac ont :

D’une part, consacré l’immédiateté de la mise en œuvre de cette prérogative dans quatre (04) États de la Cémac;

D’autre part et de manière corrélative, rendu progressive cette disposition pour les deux (02) autres états, pendant une période transitoire dont la détermination a été laissée à l’entière discrétion du temps.

En effet, par des décisions unilatérales prises dans le cadre de la Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale (CEEAC) dont ils sont membres, le Cameroun, la république centrafricaine et le congo avaient décidé en aout2004, de supprimer les visas pour les titulaires d’un passeport de service ou diplomatique.

Les autorités camerounaises et congolaises sont allées plus loin en supprimant purement et simplement cette formalité pour leurs ressortissants respectifs.

Ainsi, entre le Cameroun et le Congo, une pièce d’identité suffit aux voyageurs des deux pays pour passer les frontières. Le Tchad s’est depuis lors inscrit dans cette mouvance.

En revanche, l’entrée sur le territoire du Gabon ou de la Guinée Équatoriale devait rester soumise à la formalité de visa pendant une certaine période au terme de laquelle la présentation d’un passeport, voire d’une carte nationale d’identité suffirait à circuler dans tous les États de la Cémac.

La décision n°02/08-UEAC-CM-17 portant liste des personnes admises à titre transitoire à circuler sans visa en zone Cémac

Lors de sa séance du 20 juin 2008, le conseil des Ministres de l’UEAC a adopté la décision n°02/08-UEAC-CM-17 portant liste des personnes admises à titre transitoire à circuler sans visa en zone CÉMAC.

Cette décision vise à tenir compte de la position particulière exprimée par le Gabon et la Guinée Équatoriale, qui sollicitaient une période transitoire et une application progressive de ces textes.

Cette décision a pour effet, pendant une certaine durée, de :

Circonscrire la liberté de circulation à certaines catégories de personnes;

Supprimer la possibilité de présenter, en guise d’instrument de voyage, la carte nationale d’identité même par les catégories bénéficiaires de ses dispositions.

Au-delà de cette durée, la liberté de circuler devrait être restaurée :

En faveur de toutes les catégories des citoyens de la CÉMAC ;

Et détenteur de tout type d’instrument de voyage (carte nationale d’identité, passeport ordinaire, e service ou diplomatique).

Il est donc important d’appréhender cette Décision comme étant la première étape de la progressivité instaurée par l’Acte additionnel, relativement aux deux autres pays.

En effet, elle ne saurait se traduire par une remise en cause acquis communautaires consacrant la possibilité pour tous les citoyens de quatre pays – et non seulement certaine catégories – de se déplacer en présentant simplement leur carte d’identité.

D’ailleurs, cette décision qui se fixe pour principal objectif de déterminer certaines modalités d’application de l’Acte additionnel susvisé, se fonde sur le souci de mettre en application la décision des Chefs d’État rendant effective la liberté de la circulation dans les États de la Cémac, au regard des capacités réelles de ces États en matière sécuritaire.

En outre, au regard de leur positionnement institutionnel, l’acte du conseil des Ministres ne saurait contredire celui de la conférence des Chefs d’État.

Le règlement n°01/08-UEAC-042-CM-17 du 16 mars 2012 portant institution et conditions de gestion et de délivrance du passeport Cémac

A l’origine, le passeport Cémac était censé faciliter la circulation d’une catégorie de citoyens (Diplomates, fonctionnaires de la communauté, hommes d’affaires, responsables de cultes religieux et étudiants).

Depuis 2000, il a été décidé de son extension à tous les citoyens de la sous-région, sans exclusion, à travers le règlement n°1/100-CÉMAC-042-CM-04 portant institution et conditions d’attribution du passeport Cémac.

Le 16 mars 2010, le conseil des Ministres a adopté le Règlement n°01/08-UEAC-042-CM-17 portant institution et conditions de gestion et de délivrance du passeport CÉMAC.

Cette adoption marque la volonté d’accélérer le processus de circulation des personnes dans la zone Cémac, en consacrant le passeport Cémac comme véritable identité communautaire.

Ce règlement institue au sein de la communauté un passeport biométrique Cémac dans ses trois composantes : ordinaire, de service ou diplomatique.

L’article 02 affirme que : « le passeport Cémac confère à son titulaire le droit de circuler librement, sans visa, au sein de l’espace Cémac. A cet effet, il tient lieu également de pièce d’identité. Le passeport Cémac est un document de voyage international pour les ressortissants des États membres »

Le passeport Cémac se présente, aux cotés de la carte nationale d’identité, comme un instrument alternatif permettant aux citoyens de quatre États de la Cémac de se déplacer à l’intérieur de ces États, ainsi qu’aux ressortissants des autres États de bénéficier de la même faculté dès la fin de la période transitoire.

L’effort de sécurisation de ce document de voyage s’inscrit dans l’objectif de se conformer à la recommandation de l’OACI visant à mettre un terme aux actes de fraude, la falsification et d’altération dont il pourrait faire l’objet.

La prise en compte de cette recommandation devrait se traduire par l’arrimage de la Cémac à la norme Public Key Directory (PKD) prescrite pour l’authentification et la vérification du passeport du passeport Cémac.

Loin de constituer une entrave à la libre circulation au regard notamment de la pratique en vigueur dans quatre (04) pays et des perspectives entrevues dans deux (02) pays, le passeport Cémac n’est pas non plus une condition sine qua non à la mise en œuvre des termes de l’Acte additionnel précité.

Véritable trait identitaire sous-régional, le passeport Cémac est une affirmation de la particularité de la zone en termes de libre circulation des personnes.

Son instauration répond à la nécessité d’un renforcement de l’identité communautaire vis-à-vis de régions extérieures. L’instauration du passeport biométrique du 16 mars 2010 a permis d’harmoniser la législation de libre circulation en zone Cémac.

 

Necessité de lever les entraves à la libre circulation des personnes

 

Depuis quelques années, les indicateurs de croissance des pays de la Cémac donnent par endroit des signaux encourageants. Mais au nombre des mesures attendues pour une franche amélioration du tableau figure la libre circulation des personnes.

Alors que le cinquantième anniversaire du processus d’intégration en Afrique Centrale attend d’être célébré en 2014, la libre circulation, concept au cœur de l’élan intégrateur, n’est réalisé que partiellement dans la zone Cémac.

En effet, en dépit des efforts consentis depuis 1964 pour la construction de l’intégration en zone Cémac, la libre circulation des personnes reste entravée, notamment par :

L’exigence de visas à l’entrée au Gabon et en Guinée Équatoriale ;

L’accroissement des tracasseries administratives le long des corridors intérieurs et aux frontières de tous les États membres ;

L’insécurité croissante le long des corridors, avec l’observation des phénomènes de grand banditisme, vols et viols par des bandes armées (coupeurs de route)

Les réticences à la libre circulation dues à des questions sécuritaires ou à de simples craintes de flux migratoires incontrôlés ne semblent plus résister à la critique.

La suppression des visas, étape indispensable pour l’intégration et élément de crédibilisation de la communauté

Les dispositions de l’Acte Additionnel n°08/CÉMAC-CEE-SE excluent toute entrave à la libre circulation liée à l’exigence de visa. Tandis que la libre circulation des personnes dans l’espace Cémac se caractérise par la suppression de visas pour quatre (04) États, le Gabon et la Guinée Équatoriale ont marqué leur préférence pour la mise en œuvre progressive de l’Acte additionnel n°08/CÉMAC-CEE-SE.

Par conséquent, ces deux (02) États n’ont pas enregistré d’avancées significatives en matière de libre circulation des personnes depuis l’adoption de ce texte. La suppression des visas s’impose donc aujourd’hui pour donner corps au projet intégrateur façonné depuis 1964 et, au demeurant, amélioré depuis lors.

Outre que cette suppression s’impose de plus en plus dans la zone Cémac en raison de la logique même des engagements communautaires, elle permettrait de répondre aux appels incessants de la communauté internationale, des partenaires au développement et autres organisations internationales.

L’appel du comité de convergence de la Zone Franc

Le comité de convergence de la Zone Franc, structure de réflexion et de proposition créée en 1999 à paris, a certes pour objectif principal le renforcement de la surveillance multilatérale dans la zone. Mais ses orientations générales sont axées non seulement sur les questions de stabilité macroéconomique et de réformes mais aussi sur l’approfondissement de l’intégration régionale.

De ce fait, à l’occasion des rapports annuels qu’il ne cesse de publier depuis plus de dix (10) ans, le comité de convergence insiste sans relâche pour qu’aboutisse le processus de libre circulation des personnes dans l’espace Cémac.

Dans son dernier rapport dit de convergence nominale, le comité a ainsi suggéré aux pays de la Cémac, au titre des actions prioritaires et immédiates, de « rendre la libre circulation des personnes effective dans tous les États ».

Dans un autre rapport dit de convergence réelle, le comité établit un constat plus cinglant pour l’Afrique Centrale, en affirmant qu’ : « Aucun État membre de l’UEMOA n’exige de passeport ou de visa des ressortissants communautaires pour entrer sur son territoire. Une simple carte d’identité suffit pour se déplacer dans les pays de l’Union. En revanche, des obstacles peuvent être relevés dans la Cémac, notamment pour les voyageurs se rendant au Gabon ou en Guinée Équatoriale, pays pour lesquels un passeport et un visa sont toujours exigés. Aucune évolution favorable depuis le rapport de mars 2012 n’est constatée ». L’instance de cette structure dont la compétence et avérée en la matière prouve le lien entre libre circulation et développement de la sous-région.

L’appel de l’Union Africaine

Les analyses portées par le commissaire en charge des Affaires Économiques au dernier sommet de l’Union Africaine, et rapportées par le monde, un des quotidiens les mieux lus, estiment que la Cémac ne représente que 1% du marché du continent tandis que l’UEMOA au contraire représente 14% de ce même marché.

Les causes de cette faiblesse de l’Afrique Centrale, selon le commissaire, tiendraient, entre autres facteurs, aux entraves à l’intégration que provoquent les États du Gabon et de la Guinée-Équatoriale. Il va sans dire que tous les États membres de la Cémac étant acteurs de l’Union Africaine (UA), chacun d’eux, au même titre que la commission, devrait ici se sentir interpellé.

L’inconsistance de l’argument sécuritaire excipé pour s’opposer à la libre circulation

Les questions liées à la sécurité semblent peser fatalement sur les avancées attendues alors qu’elles ne sauraient constituer un facteur de blocage. Des textes communautaires dont la fonction vise à limiter les actions criminelles transfrontalières existent et sont par ailleurs appliquées ; on peut certes déplorer la faiblesse de cette application, mais on ne peut nier que nos juridictions pénales en usent contre certains délinquants.

L’argumentaire tiré de la question sécuritaire ne saurait donc s’appliques dans les relations entre les États de la Cémac au regard de la nature et de la portée des instruments juridiques adoptés. Des exemples par ailleurs tirés de l’UEMOA et de l’Union Européenne -dont les préoccupations sécuritaires sont indiscutables-, viendront également en appui au positionnement de la commission.

La portée limitée de l’argumentaire sécuritaire dans les relations intra-communautaires

S’agissant de relation entre la libre circulation et la question d’insécurité, les États membres de la Cémac, à l’instar de l’ensemble des pays du Golfe de Guinée, restent préoccupés par la question de l’insécurité transfrontalière qui résulte pour une large part de l’immigration clandestine des bandes armées qui écument cette partie du continent africain.

S’il est admis, d’après les statistiques que la Guinée Équatoriale et surtout le Gabon ont des ratios population immigrée sur population totale assez élevés, il est tout aussi vrai que plus des 2/3 d’expatriés vivant dans ces deux pays ne sont pas des ressortissants de la Cémac.

Or, la libre circulation des personnes dont il est question ici ne concerne que les ressortissants de la Cémac.

Par ailleurs, l’obligation de visa à l’égard des ressortissants d’autres pays de la Cémac ne constitue pas un moyen efficace de lutte contre l’insécurité ou la criminalité transfrontalière.

En d’autres termes, ce n’est pas la libre circulation des ressortissants des États membres de la Cémac qui constitue un danger pour les États, mais l’afflux d’immigrés clandestins en provenance des pays tiers qu’il convient d’éradiquer dans l’ensemble du territoire communautaire.

A cet effet, la lutte contre le grand banditisme et la criminalité transfrontalière devrait s’opérer en synergie dans le cadre communautaire et non de manière isolée.

Les accords d’Extradition entre les États de la communauté et de coopération judiciaire

Le 28 janvier 2004, deux accords simultanés ont été signés par les Chefs d’États de la sous région, l’un portant sur l’Extradition et l’autre sur la Coopération judiciaire. L’idée maîtresse de ces Accords consistait à créer un dispositif sécuritaire préalable à la proclamation de la liberté de circuler.

Conclus par les chefs d’États en personne, ces Accords comportent des dispositions tirées des textes régissant l’espace Schengen. Leur mise en œuvre devrait rassurer les États inquiets d’une contagion du phénomène de l’insécurité.

Des juridictions en Centrafrique usent des ces Accords dans l’exercice de poursuites pénales contre certains délinquants prompts à passer la frontière vers le Cameroun, le Tchad ou le Congo. Il en est de même de certaines juridictions Camerounaises.

L’on se souvient à ce propos que des membres d’un réseau d’escroquerie qui, entrés en Centrafrique en septembre 2012 parce que poursuivis par une juridiction de première instance de Douala, y avaient été appréhendés puis extradés et jugés dans le pays de commission des infractions. Ce fait divers, largement commenté par les médias, nous parait susceptible d’être cité ici comme exemple.

La libre circulation en zone UEMOA n’est pas facteur d’insécurité

Communauté aux origines lointaines comme la Cemac, l’UEMOA a opté pour la levée intégrale de ses frontières internes. Tout citoyen de cette communauté peut ainsi circuler à travers tout l’espace pour peu qu’il se munisse d’une simple pièce d’identité : le passeport n’y est guère nécessaire.

L’avancée de l’UEMOA s’est faite sans que ne s’y opposent des argumentaires fondés sur la sécurité. Dans une Afrique de l’Ouest dont certains États, comme le Mali, vivent depuis de longues années sous la menace constance de groupes armés aux revendications identitaires diverses, l’effacement des barrières n’a été accompagné que de conventions de coopération à la fois policière et judiciaire comme celles dont disposent la Cemac.

Les faits des dix (10) dernières années montrent que les craintes sécuritaires autour de la libre circulation ne se justifient pas. Les turbulences sécuritaires autour de la libre circulation ne se justifient pas.

Les turbulences sécuritaires nées en Côte d’Ivoire puis au mali n’ont pas engendré un phénomène de contagion immédiate comme d’aucuns pouvaient le redouter. Par ailleurs, la porosité ayant entrainé l’intrusion récente de factions islamistes au Mali relève d’une autre nature et n’est pas à mettre à la charge de la libre circulation en zone CEDEAO.

Plusieurs études signalent d’ailleurs que les mobilités des situations de conflit ou d’insécurité sont dues à des causes beaucoup plus complexes, avec des dynamiques et des interactions qu’on ne saurait réduire à une question de frontières au sein d’une Communauté d’États.

L’espace Schengen ne favorise pas la grande criminalité

L’espace et la coopération européenne fondés sur le traité Schengen de 1985 représentent tout aussi un territoire de libre circulation : les États signataires ont aboli leurs frontières internes pour une frontière extérieure unique.

Les préoccupations sécuritaires ont conduit à la mise en place d’une coopération et d’une coordination entre les services de police et les autorités judiciaires des différents pays membres.

Un réel équilibre organise ainsi et met en dialogue d’une part la liberté de circuler et d’autres les impératifs de sécurité. La création du Système d’Information Schengen (SIS) participe de cet équilibre laborieusement construit.

Or, les dispositions sus évoquées sont celles-là mêmes qui ont inspiré les Accords d’Extradition et de Coopération Judiciaire signés par les Chefs d’État de la Cémac. On ne peut comprendre que les textes qui rassurent en Europe ne paraissent pas fiables en Afrique Centrale, surtout lorsqu’on sait l’intérêt de l’Europe pour les questions de lutte contre la grande criminalité.

L’absence de visa pour quatre États de la communauté n’a pas entrainé des intrusions de criminalité entre eux

Depuis plusieurs années, l’absence de visa entre quatre États de la Communauté est un acquis. Cette absence de visa facilite des mouvements migratoires de part et d’autre sans une incidence réelle sur la sécurité ou la stabilité des pays.

Des crises ont pourtant secoué le Tchad et la République Centrafricaine durant ces dix (10) dernières années. Aucun phénomène contagieux ne s’en est suivi qui puisse être expliqué par l’effacement des frontières internes à la communauté. Aucune étude n’en a rendu compte, aucune analyse politique ni aucun expert de sécurité n’est parvenu à une telle condition.

Les craintes émises par certains États réticents à la suppression de visa, si elles se justifient du point de vue purement humain, manquent en définitive de fondement scientifique pouvant servir à retarder le processus d’intégration en Afrique Centrale.

La crainte d’un flux migratoire incontrôlé, autre argumentaire utilisé contre la libre circulation

La crainte d’un flux migratoire incontrôlé, propre à réduire le marché de l’emploi, est une autre motivation des hésitations exprimées par certains États. Ces craintes, quoique non exprimées, réclament d’être dissipées. Des ouvrages et des études écrits par des compétences reconnues autorisent à évoquer quelques illustrations, dont celle des deux Congo, même si l’un de ces deux pays est extérieur à la communauté.

L’exemple des deux Congo

De récents travaux sur les migrations rappellent la situation qui a prévalu lors de la suppression de visa entre le zaïre de l’époque et son voisin le Congo : la presse brazzavilloise et une partie du public avaient craint une déferlante migratoire qui en définitive n’eut jamais lieu.

Durant plus de trente ans, les déplacements massifs et marquants enregistrés entre les deux pays se sont limités au double flux de réfugiés, d’abord du Congo-Kinshasa vers le Congo-Brazzaville, puis du Congo-Brazzaville vers le Congo-Kinshasa la même année 1997, de façon quasi-simultanée.

Ces deux migrations très conjoncturelles, liés toutes deux à une tourmente de conflits internes, se sont en quelques mois totalement taries. Aucun visa ne prévaut entre les deux Congo, mais nul flux migratoire massif ne s’est jamais enregistré.

Analyse des chiffres de la mission du UNHCR en Centrafrique

Des chiffres puisés d’une étude de 2012 du UNHCR sur des mouvements de réfugiés entre le Tchad, le Congo et le Cameroun peuvent servir à l’analyse ici développée.

L’organisation onusienne, après des visites de terrain et la consultation des archives jugées les plus fiables, a établi que les mouvements cycliques de population entre ces trois pays entretiennent, en vrai, une perception de plus en plus problématique entre migrations et mobilités et brouillent ainsi les distinctions traditionnelles entre pays de départ et pays d’accueil.

Les chiffres fournis par certains États et obtenus par le recensement des franchissements de frontières jusqu'à 10 millions par an, ont été fondamentalement disqualifiés. Car ces chiffres englobent les flux de toutes temporalités et de toutes motivations, y compris ceux des touristes et cumulent les déplacements itératifs d’un même individu.

Il s’ensuit que le taux moyen annuel du solde migratoire, calculé par le UNHCR entre 2005 et 2011 soit sur une période de six ans est totalement nul entre le Tchad, le Cameroun et la République Centrafricaine, trois pays où pourtant l’obtention de visa n’est plus requise pour un citoyen de la communauté.

Il importe d’en tirer comme conclusion que la suppression des visas ne saurait être source de flux migratoire incontrôlé, qui puisse perturber la marché de l’emploi, d’autant d’ailleurs que libre circulation n’est pas droit de s’établir.

 

Nature des mesures et actions susceptibles de securiser les Etats membres et faciliter la libre circulation des personnes en zones cémac

 

La mise en application des textes communautaires sur la libre circulation des personnes en zone CÉMAC s’est souvent heurtée à une difficulté majeure liée à la question sécuritaire des États membres.

Pour résoudre cette difficulté, les États membres et les organes compétents de la communauté, se sont employés, chacun à son niveau, à prendre des mesures et à engager de multiples actions. Ces actions et mesures d’accompagnement ne doivent pas être considérées comme des préalables à l’effectivité de la libre circulation.

Parmi les mesures et actions en cours, dont l’achèvement marquerait une avancée significative dans la création de conditions permettant la libre circulation des personnes en zone CÉMAC, il y a lieu de noter :

- La ratification en cours dans trois États membres des accords d’extraction et de coopération judicaire et dans deux États membres de la convention régissant l’UEAC ;

- La constitution du fichier des opérateurs économiques ;

- L’adoption d’un texte d’application de la décision N°02/08-UEAC-CM-17 du 20 juin 2008 portant liste des personnes admises à titre transitoire à circuler sans visa en zone Cémac, définissant le mot « investisseurs » et l’expression « fonctionnaires nationaux ou communautaires » ;

- La mise en application effective, par les deux États membres concernés, des dispositions de la décision N°02/08-UEAC-CM-17 du 20 juin 2008 portant liste des personnes admises à titre transitoire à circuler sans visa en zone CÉMAC ;

- L’achèvement des travaux de construction des postes de Kousséri et de Koutéré ainsi que des études de faisabilité du poste de cantonnier ;

- La désignation par le Congo et la Guinée Équatoriale de leurs Experts pour le démarrage des activités de centre de collecte des données au niveau des frontières communautaires sur l’ensemble de l’espace Cemac;

- L’élargissement du système I-24/7 au-delà des Bureaux Centraux Nationaux (BCN) ;

- L’accélération de la négociation et la signature de l’accord CÉMAC-INTERPOL dans le cadre de la « Connexion Find and Mind » aux frontières des pays de la Cemac;

- L’acquisition d’équipements permettant la même lecture du Passeport Cemac;

- La mise en circulation du Passeport Cemac et la création du centre de collecte des données Cemac susmentionné, pour permettre la création et la mise en place dans chaque État d’un fichier numérisé pour les personnes et les objets recherchés à divers titres et d’un autre fichier numérisé des différents types de documents d’identité et de voyage et activation de la biométrie sur l’ensemble de la zone Cemac;

- L’intégration de la biométrie sur tous les documents d’identité dans tous les États membres ;

- L’élaboration et la mise en œuvre de la politique commune en matière d’Émi-immigration.

D’autres mesures et actions sont à engager pour renforcer le dispositif sécuritaire des États membres, dans le cadre de la libre circulation des personnes en zone Cémac.

Enfin, au titre des mesures et actions à engager pour la facilitation de la libre circulation des personnes en zone Cemac, on retiendra à ce stade :

- Le renforcement des activités du comité des Chefs de Police d’Afrique Centrale (CCPAC-INTERPOL) par l’institution d’une rencontre semestrielle des Directeurs de Police en charge des questions des frontières, en vue de l’évaluation régulière des difficultés de mise en œuvre de la libre circulation dans la sous-région;

- L’activation du centre de formation spécialisée d’Afrique Centrale en matière d’enquête criminelle ;

- La délivrance des visas Cemac aux ressortissants des pays tiers ;

- L’adhésion des États membres de la Cemac au programme PKD (Public Key Directory) ou RCP (répertoire des clés Publiques), interface de l’OACI pour la mise en œuvre de la norme 9303 sur les documents de Voyage Lisible à la Machine (DVLM) ;

- La sensibilisation, par la commission de la Cemac, des États membres et de leurs opérateurs du passeport biométrique pour les inciter à souscrire à cette adhésion et permettre de recalibrage des spécifications du passeport Cemac évalué ;

- L’évaluation et la mise à niveau du Règlement portant institution et conditions d’attribution du passeport Cemac pour l’arrimer à la nouvelle donne de l’OACI et d’INTERPOL sur la sécurisation des documents de voyage et des frontières par le processus des clés publiques ( PKD ou RCP).

 

IV- Perspectives en matière de libre circulation en zone cémac

 

Au moment ou la communauté s’apprête à célébrer en 2014 le cinquantenaire de son processus d’intégration régionale (1964-2014) ainsi que le vingtième anniversaire de la création de la Cemac (1994-2014), l’Afrique Centrale devrait s’engager résolument et de manière irréversible vers la réalisation de cet objectif clef qui est de consacrer la libre circulation réelle de ses filles et fils à travers l’ensemble de son espace.

Pour ce faire, après une période moratoire de plus de huit ans, le Gabon et la Guinée Équatoriale devraient appliquer les dispositions de l’Acte additionnel N°08/CÉMAC-CEE-SE du 29 juin 2005, en même temps que se poursuivent les actions coordonnées de renforcement du dispositif sécuritaire pour l’ensemble de la communauté.

Dans cette perspective, au titre des priorités à mettre en œuvre, figurent la réalisation par les États membres et la commission des actions inscrites dans la Feuille de route consensuelle sur la libre circulation des personnes sont notamment inscrites dans ces priorités:

- Le renforcement de la sécurisation du passeport communautaire biométrique au travers de l’arrimage de la CÉMAC à la norme Public Key Directory (PKD) prescrite par l’OACI ;

- La sécurisation de l’espace communautaire par le système I-24/7

Dans le cadre de la coopération entre la commission de la CÉMAC et Interpol, cette dernière propose la réalisation des principales actions suivantes :

La mise à niveau de chaque Bureau Central National (BCN) dans les six pays membres de la communauté ;

L’équipement et la connexion des quarante (40) postes de contrôle identifiés ;

L’établissement des passeports Cemac biométriques et sécurisés

La prise en charge des frais de connexion internet des BCN et des postes de contrôle pour les cinq premières années : la mise en place d’une politique commune d’émi-immigration. 

Cémac: La libre circulation des personnes de A à Z
Cémac: La libre circulation des personnes de A à Z
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